Norias de Hama

Noria de Hama
pays
Syrie
auteur

Mohamed Al-Dbiyat
Julie Morineau

Inlassablement, l’eau monte emportée par l’effort du fleuve (...). C’est un rêve oublié au bord de l’eau, une poésie musicale faite de rien (…) et qui ne tient en équilibre que par la puissance de rêve.

J. et J. Tharaud, Le chemin de Damas, éd. Librairie Plon, Paris, 1923

La noria représente l’aménagement hydraulique antique le plus développé dans l’histoire de l’exploitation de l’eau au Proche-Orient et notamment en Syrie. C’est une invention importante, liée surtout aux besoins d’irrigation dans les régions soumises au climat méditerranéen. Elles ont servi aussi à pourvoir en eau les agglomérations.

Puiser, remonter, transporter ou canaliser l’eau… Pour y parvenir, l’homme a inventé de nombreux systèmes hydrauliques depuis l’Antiquité. Dans ce domaine l’utilisation de l’énergie de l’eau, avec le système de la roue à godets, a été un tournant important dans l’histoire de ces inventions : c’est le principe des norias de l’Oronte, qui utilisent, pour fonctionner, l’énergie gratuite et permanente du fleuve dans lequel elles puisent.

La roue persane

La roue persane doit être distinguée de la noria. Comme on l’a vu cette dernière utilise l’énergie d’un cours d’eau, tandis que la roue persane est traditionnellement une roue à engrenages actionnée par la force animale, le plus fréquemment des bœufs. Son nom, en Europe, lui vient de son utilisation par les Perses, mais ce procédé existait en Inde depuis le IIIe siècle avant notre ère. Entre les VIIIe et XIIe siècles, de grands travaux d’irrigation ont été menés en Inde. Utilisant des mécanismes d’élévation à  rouages d’abord actionnés par l’homme, ces machines ont été perfectionnées au XIIIe siècle pour devenir la roue persane. Ce mode de puisage porte ainsi les noms d’araghatta (nom sanskrit), de saqia (nom arabe) ou plus prosaïquement de "pompe à seaux".

L’Oronte, ou al Assi en arabe, parcourt les pays du Levant du Liban aux avant-monts du Taurus ; son bassin s’étend sur plus de 23 000 kilomètres carrés, dont 13 800 en Syrie. Le long de ce fleuve, la vie urbaine s’est développée et organisée, comme c’est le cas à Hama (la cinquième ville de Syrie, avec près de 400 000 habitants), particulièrement depuis l’époque romaine grâce aux norias. Sur l’Oronte, de Rastan au Ghab, on compte environ 80 norias. Ces ouvrages hydrauliques ont permis le puisage de l’eau et son élévation par le système des roues à godets, en bois, entraînées par la seule force du courant. La noria permet d’élever l’eau sur une dizaine de mètres, donnant ainsi la possibilité d’irriguer les terrasses étendues de part et d’autre du fleuve, sur des surfaces pouvant atteindre 20 à 50 hectares par noria. Le nom de la noria vient du mot arabe na’oura, donné à un appareil élévatoire dans lequel la roue joue le rôle essentiel.

On trouve des norias rurales destinées à l’agriculture, qui se trouvent en pleine campagne, et des norias urbaines, destinées à l’irrigation des vergers et à l’alimentation de la ville : eau domestique, fontaines publiques, mosquées, khans et hammams. Le surnom de Hama, Madinat al Nawa’ir ou "la ville des norias", vient des seize norias qui jalonnaient, encore naguère, le cours du fleuve qui traverse la ville sur deux kilomètres environ.

La noria est une grande et large roue en bois parfaitement équilibrée et dressée sur la rive du fleuve. Son principe existe au moins depuis l’époque byzantine, et on en voit la reproduction sur une mosaïque trouvée à Apamée, datant de l’année 469 de notre ère. La construction des norias s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’époque ottomane. De larges palettes de bois plongent dans le courant du fleuve et maintiennent l’appareil en mouvement perpétuel, et son cercle extérieur est garni d’une série de godets ou d’auges de bois qui se remplissent d’eau pour la déverser, au sommet de leur rotation, dans un aqueduc qui la conduit vers les terres à irriguer. Pour accélérer ce mouvement, le fleuve est le plus souvent barré en oblique, un peu en amont de la noria, de façon à diriger sur elle la force maximum du courant.

Focus actualité

Devenues l’emblème de la ville, les norias de Hama ont à plusieurs reprises été mises en danger lors de rébellions de la population contre le régime syrien des Assad, particulièrement en février 1982. La ville fut alors assiégée vingt-sept jours durant par les forces armées syriennes et subit de nombreux dommages.

En 2011, la cité antique du Croissant fertile a été l’un des foyers d’origine du Printemps arabe syrien.

Les norias ont des dimensions variables (en moyenne de 10 à 12 mètres de diamètre), mais la plus grande atteint 22 mètres : la noria al Mohammadiya, qui se trouve à Hama. L’installation d’une noria exige la construction d’un grand ouvrage en pierre et d’aqueducs, qui peuvent atteindre quelques centaines de mètres de long. Leur calibrage dépend de la puissance de la noria. Ainsi, des chiffres relevés en 1930 précisent que 45 litres par seconde permettent l’irrigation de 25 hectares, et que 150 ou 180 litres par seconde permettent d’irriguer 50 à 75 hectares.

Depuis le milieu du XXe siècle, la motopompe a remplacé la noria dans le système agricole de la vallée de l’Oronte sur l’ensemble de son parcours. C’est un investissement moins coûteux que la construction d’une nouvelle noria, plus facile à installer et à entretenir. Dans les années 1980, les autorités locales de la ville de Hama ont néanmoins mis en œuvre un programme de restauration des norias, qui sont ainsi passées, en moins d’un demi-siècle, du statut de pilier de l’agriculture irriguée dans la vallée de l’Oronte et les jardins de Hama au statut de patrimoine.