Aqueducs, de Lutèce à Paris

L'aqueduc Médicis (photo Eau de Paris)
pays
France
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Dans tous leurs aménagements, les Grecs s'adaptaient à la nature et savaient leur trouver des analogies dans les dispositifs apparentés existant dans la nature. Cette adaptation au modèle de la nature et aux dispositions du terrain constitue un principe proprement grec appliqué à la construction des aqueducs ; elle s'oppose à la pratique des Romains, ceux-ci, dans leur manière impérialiste, préféraient la ligne droite pour conduire les eaux de la source au chef-lieu de la cité ; ils élevaient de cette manière de hautes constructions somptuaires, rendues ainsi indépendantes des contraintes du terrain.

Savant allemand cité par Philippe Leveau, historien, auteur de "L'archéologie des aqueducs romains"

Les recherches archéologiques ont permis de dater la construction de l'aqueduc de Lutèce au IIe siècle après J.-C. Les Romains accordaient beaucoup d’importance à tout ce qui concernait l'utilisation de l'eau, en particulier pour les thermes, lieux clés de la vie sociale dans la cité, qui nécessitaient une eau dont la qualité et les quantités devaient être suffisantes.

Les thermes de Lutèce

Ce qu'il en reste affirme leur caractère imposant ; le frigidarium (bain froid) occupe une salle de 230 m2, dont les voûtes culminent à 17 mètres. Ces voûtes en berceau retombent sur des consoles sculptées en forme de proues, décorées de tritons et de rames. Sur un des côtés, une sirène symbolise l'eau. Cette décoration laisse supposer que la puissante corporation des nautes (bateliers) ne fut pas étrangère à la construction de ces thermes publics. La nef, symbole de cette corporation, perdure depuis sur le blason de la Ville de Paris, et même actuellement sur son logo.

On peut mesurer l'importance de la Lutèce gallo-romaine au fait qu'elle disposait de trois établissements de bain, dont les plus vastes étaient ceux du nord, dits aujourd'hui "thermes de Cluny". La présence de trois établissements nécessitant un apport d'eau quotidien, les Romains utilisèrent leur savoir-faire pour capter les eaux de source du plateau de Rungis (à Wissous), peu calcaires, et les conduire jusqu’à Lutèce via un aqueduc de 16 kilomètres, dont un embranchement alimentait quelques villas particulières au moyen de conduites en plomb. Le débit de l'aqueduc a été estimé à 2 000 mètres cubes par jour.

Le regard de la Lanterne

Le regard de la Lanterne, construit entre 1589 et 1613, constituait la tête du grand aqueduc de Belleville. Il reste aujourd'hui le principal vestige des sources du Nord, visible dans le jardin du regard de la Lanterne dans le 19e arrondissement.

Pour le bâtir, les romains n'ont reculé devant aucune difficulté matérielle et technique. Le franchissement de la vallée de la Bièvre nécessita notamment la construction d'un pont-aqueduc au niveau de la ville d'Arcueil (dans le Val-de-Marne). L'aqueduc fut utilisé pendant plus de 500 ans. De cette époque datent les principes de l’aqueduc, du pont-aqueduc et du siphon, qui ont depuis lors été améliorés mais sont encore utilisés aujourd’hui.

Des regards et puisards pour accéder à l'aqueduc

des regards et puisards pour accéder à l'aqueduc

Aqueduc du Loing, doublement des siphons de la Bièvre (début XXe siècle).

Si l'aqueduc est un ouvrage majoritairement souterrain, son entretien nécessite de pouvoir y accéder facilement. C'est pour cela que des regards et puisards ont été construits. Les regards sont de petits bâtiments en surface, qui communiquent par un escalier avec la galerie de l’aqueduc, située en souterrain. À cet endroit, comme c’est le cas pour l’aqueduc Médicis, on peut trouver un bassin de décantation. Les regards sont aussi munis d’ouvertures qui permettent d’aérer en permanence la galerie de l’aqueduc. Les puisards permettent également d’accéder à l’aqueduc pour son entretien. Cela se fait par un simple puits aménagé dans le haut de la voûte de l’aqueduc.

De l’aqueduc Médicis, il reste aujourd’hui le fameux pont-aqueduc d'Arcueil (dans le Val-de-Marne) et la maison du Fontainier, 27e et dernier regard sur le parcours de l'aqueduc, désormais protégé au titre des monuments historiques. La maison du Fontainier servait de logement de fonction au fontainier du Roi qui gérait l’ensemble de l’aqueduc. Située au 42 de l'avenue de l’Observatoire, cette maison est le plus vieil édifice du 14e arrondissement.

L’aqueduc de Lutèce fut victime du manque d’entretien consécutif aux invasions barbares (IIIe-IVe siècles après J.-C.). Toutefois, son tracé ne s’effaça pas totalement des mémoires... Le parcours imaginé par les Romains sera en effet repris par la reine Marie de Médicis au XVIIe siècle, puis par l'ingénieur Belgrand au XIXe siècle pour construire de nouveaux aqueducs. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, l'aqueduc de la Vanne emprunte son tracé à l'aqueduc de Lutèce.

Au Moyen Âge, les communautés religieuses financèrent de nouveaux aqueducs destinés à alimenter les abbayes et quelques fontaines publiques. Contrairement aux Romains, les religieux tournaient leur regard vers les hauteurs du nord de Paris et, au cours du XIIe siècle, se développèrent ce qu'on appelait les "sources du Nord" : un réseau d'aqueducs destiné à dériver l'eau captée sur les collines du nord-est de Paris, où sont actuellement situés les quartiers de Belleville et de Ménilmontant et les villes du Pré-Saint-Gervais et des Lilas, en Seine-Saint-Denis.

Au début du XVe siècle, Paris comptait 600 000 âmes, et le réseau des sources du nord imaginé au Moyen Âge tombait en désuétude. La Renaissance (XVe-XVIIIe siècles)  fut marquée par la redécouverte de l’Antiquité, dont les aqueducs, construits par les Romains. Henri IV décida de construire un nouvel aqueduc, en s'inspirant du tracé antique de l'aqueduc de Lutèce (la restauration de l’original était impossible, tant son état était dégradé), mais il mourut assassiné sans l’avoir vu construit. Sa veuve, Marie de Médicis, reprit le projet : les travaux commencèrent en 1613 et durèrent dix ans, durant lesquels 600 ouvriers travaillaient en permanence. Les 13 kilomètres de l'aqueduc Médicis, ponctués de 27 regards, permettaient d'acheminer les eaux du plateau de Rungis jusqu'à la maison du Fontainier à Paris dans le 14e arrondissement.

Chantier de pose du siphon de Nemours (tête amont), dans le cadre des travaux de dérivation des sources du Loing et du Lunain (1898-1900), en forêt de Fontainebleau..

Pose de conduites dans le futur aqueduc de la Voulzie, près de Provins, 1924.

 
Au XIXe siècle, à l’heure de la révolution industrielle, Paris a connu un essor sans pareil. Entre 1836 et 1866, la ville est passée de un à deux millions d’habitants. C’était une époque de grands travaux d’infrastructures : canaux, égouts, voies ferrées, routes, bâtiments prestigieux et aqueducs. Les techniques s’industrialisaient, les outils étaient de plus en plus performants.

Dans le cadre des grands travaux engagés par le préfet Haussmann à Paris, Eugène Belgrand (1810-1878) fut chargé de développer et de moderniser le réseau d’eau de la capitale. Six années d'études, destinées à identifier les ressources en eau des territoires qui entourent Paris et la possibilité de les dévier, furent nécessaires pour concevoir le nouveau schéma d'alimentation en eau de la capitale. Pour offrir aux Parisiens une eau de qualité, il fut décidé de capter des sources loin de Paris, jusqu’à 150 kilomètres au-delà de la capitale. Les eaux étaient acheminées jusqu’aux portes de Paris par deux aqueducs : la Dhuis (1863-1865) et la Vanne (1866-1874).

Trois autres aqueducs furent construits après le décès d’Eugène Belgrand : l’Avre (1890-1893) et le Loing (1897-1900). Prévu en 1884 mais retardé jusqu’après la guerre de 1914-1918, le dernier aqueduc du réseau parisien, celui de la Voulzie, fut terminé en 1925. Ces trois aqueducs acheminent encore aujourd’hui la moitié de la consommation d’eau potable des Parisiens (478 000 m3 par jour en moyenne, en 2013).

L’aqueduc de Belgrand, évolution d’un modèle antique

l’aqueduc de Belgrand, évolution d’un modèle antique

Depuis la lointaine époque romaine jusqu’au XIXe siècle, les techniques de construction des aqueducs ont beaucoup évolué. Les différents modèles d’ouvrage existent tous encore, certains à l’état de vestiges, d’autres en état de fonctionnement.